GRANDES ÉCOLES DE COMMERCE ET CLASSES PRÉPARATOIRES ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES AU XX° SIÈCLE

Conférence de Gérard MOREL

Attaché de direction à HEC (1962-67)

Directeur de l’ESC Rouen (1967-85)

Directeur des admissions et concours de la CCIP (1985-98)

Membre de la section permanente du CNESER (1990-99)

Président des jurys « IENA » et « ESC »

Prononcée à l’ESC Rennes le 28 mai 2010

INTRODUCTION

Ayant dirigé Sup de Co Rouen de 1967 à 1985, quand je présentais l’établissement à un universitaire étranger, je devais commencer par lui expliquer qu’il y a en France deux filières d’enseignement supérieur : les Universités et les Grandes Écoles. C’est pourquoi, en introduction, il convient d’en rappeler brièvement les raisons. Les Grandes Écoles constituent une spécificité française. Les causes en sont sociologiques et historiques. Jusqu’au XVIIIème siècle la noblesse qui assurait l’encadrement de la société française ne devait pas « déroger », c’est-à-dire remettre en cause son rang social et sa dignité en se mêlant à des activités commerciales jugées dégradantes. À part quelques exceptions, ses revenus reposaient sur la vie agricole de leurs domaines. Ceci d’autant plus que l’Église interdisait le prêt à intérêt, entraînant le mépris du commerce de l’argent. L’essor du grand commerce à partir du XVème siècle fut assuré par la bourgeoisie, souvent avec l’appui de l’autorité royale, à titre d’exemples Jacques Cœur sous Charles VII ou Jean Ango sous François Ier. Les Universités se développèrent en France dans ce contexte. Philippe Auguste créa l’université de Paris en 1200, à partir de l’école épiscopale de la cathédrale, chargée d’instruire les clercs de l’église, et le Pape lui accorda en 1215 les privilèges d’une corporation ecclésiastique. Dès l’origine l’Université eut le droit exclusif de conférer les grades de Bachelier, licencié ou Docteur. Les étudiants étaient répartis en quatre facultés : – Les arts libéraux, apanage de personnes de condition libre, d’où vient l’expression « profession libérale », préparant aux professions juridiques aussi bien qu’à la peinture ou à la sculpture – La médecine – Le droit canon, consacré aux règles de la discipline religieuse – La théologie, au sens littéral « science de la religion ». Les autres universités ont vu le jour sur le même modèle, les deux plus anciennes étant Toulouse en 1230 et Montpellier en 1289. À noter que la Sorbonne, créée en 1257 par Robert de Sorbon pour faciliter les études théologiques aux écoliers pauvres, abrita au XVIème la faculté de théologie qui exerça les fonctions de Tribunal ecclésiastique pour la défense de la foi et de l’Église. Les Universités conservèrent leur organisation jusqu’à la fin de l’ancien régime. Supprimées en 1790, elles furent réorganisées en 1808 par Napoléon 1er, cette fois sous le contrôle de l’État et elles ne devaient acquérir leur autonomie administrative qu’après 1968. Au début des années soixante, les facultés avaient changé de nom, mais étaient toujours au nombre de quatre : – Faculté des lettres et sciences humaines – Faculté des sciences – Faculté de médecine – Faculté de droit et de sciences économiques, dans lesquelles apparaissaient les études de micro-économie, à côté de la macro-économie. Il n’était question ni d’ingénierie, ni de commerce, ni de gestion. Le premier établissement d’enseignement indépendant d’une Université fut le Collège de France, garantissant la liberté d’expression aux intervenants, créé en 1530 à l’initiative de Guillaume Budé et de Marguerite de Navarre, sœur de François 1er. Puis vinrent les Collèges de jésuites soutenus par l’autorité royale, dans le cadre de la Contre-Réforme. Lorsqu’au XVIIIème siècle les transformations techniques et scientifiques exigèrent des formations spécialisées, les universités n’y participèrent pas et ce fut l’État qui créa par exemple : – Des Écoles militaires – L’École des Ponts et chaussées en 1775 – L’École des mines en 1783. Pendant la période révolutionnaire, pour compenser l’émigration des cadres de l’armée et de la marine, alors que la Convention devait gérer la guerre, elle réactiva les Écoles déjà existantes et créa : – Le Conservatoire des Arts et Métiers en 1792 – L’École polytechnique et l’École Normale Supérieure en 1794. L’Empire réorganisa les Grandes Écoles pour former des cadres favorables au régime et créa la première école d’Arts et Métiers à Châlons-sur-Marne. Toutes les Grandes Écoles relevaient donc de l’État. Ce fut l’essor de la révolution industrielle qui mit fin au monopole de l’État. De nouvelles écoles s’avéraient nécessaires, elles furent l’objet de créations de la part d’industriels. Écoles d’ingénieurs privées dont en particulier l’École Centrale des arts et manufactures en 1829. L’École impériale des Arts et Métiers fut ouverte en 1857. De plus, le patronat avait besoin de trouver des cadres localement pour des industries en expansion, d’où des Écoles textiles à Roubaix, à Rouen, des Écoles d’Arts et métiers à Angers, Aix-en-Provence, Lille, Cluny. Cette introduction historique m’a paru nécessaire pour expliquer pourquoi en France, l’enseignement supérieur comprend une filière « Grandes Écoles » parallèlement à la filière universitaire, contrairement aux autres pays dans lesquels l’enseignement supérieur est entièrement intégré dans des universités, publiques ou privées. Nous avons vu que la création de ces Écoles a répondu à des besoins scientifiques et techniques. Dès le début du XIXème siècle, les ingénieurs qui dirigeaient les entreprises ont ressenti le besoin d’avoir des adjoints pour comptabiliser les transactions, gérer les stocks, correspondre avec fournisseurs et clients … Après les écoles d’ingénieurs, on a donc vu se développer des établissements de préparation aux activités commerciales. Je me propose, dans une première partie, de vous rappeler le développement des études commerciales en France jusqu’au milieu du XXème siècle. Dans une deuxième partie, j’évoquerai la mutation des Écoles de commerce en Écoles de management au cours de la seconde moitié du XXème siècle, en particulier l’évolution des modalités d’admission correspondant aux transformations pédagogiques des écoles. Et, puisque je m’adresse à l’assemblée générale de l’AP-HEC, je consacrerai la troisième partie à l’évolution des classes préparatoires économiques et commerciales. Enfin, je conclurai par une approche des problèmes posés par la cohérence des modalités d’admission.

1ère partie – LES ÉTUDES COMMERCIALES JUSQU’AU MILIEU DU XXème SIÈCLE

L’entrepreneur, qu’il soit industriel ou négociant, avait besoin d’employés pour vendre. La formation était assurée par l’expérience et le « jeune » devait chercher à entrer comme commis dans ce qu’on appelait une « bonne maison ». Sous l’Ancien Régime, l’apprentissage était prévu dans le cadre des corporations, mais elles furent supprimées par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, interdisant toute association entre gens de même métier. I. LA PREMIÈRE ÉCOLE DE COMMERCE Négociant lyonnais, Vital Roux se fait remarquer en 1800 en écrivant « de l’influence du Gouvernement sur la prospérité du commerce » et participa à la rédaction du code du Commerce. Membre de la Chambre de Commerce de Paris, il fut à l’origine d’un rapport de celle-ci, en date du 14 janvier 1807, préconisant la nécessité d’une éducation commerciale. Sur ses directives, avec l’aide du banquier Laffitte notamment, fut créée, à Paris, le 1er décembre 1819, une École spéciale de Commerce qui s’installa dans l’ancien hôtel Sully, 143, rue Saint Antoine, en 1821. L’admission se faisait à partir de 16 ans et les études duraient deux ans. Le régime était l’internat dont le règlement nous étonne maintenant quelque peu : – Lever à 5 h 30 en été et 6 h30 en hiver, début des travaux une demi-heure après le lever – Les seules interruptions aux heures de travail étaient prévues de 9 h à 10 h 30, de 12 h 30 à 14 heures et de 16 heures à 18 heures – Coucher à 21 h 30 en hiver et 22 heures en été. Les seuls congés étaient les jours de fermeture de la Bourse et un mois de vacances en septembre. Le programme d’enseignement, auquel participait l’économiste Jean-Baptiste Say, était le suivant : – Connaissances générales – Comptabilité – Changes – Monnaies – Les usages à l’étranger – La législation. En outre, sur le modèle d’une école de Gand, étaient pratiquées des opérations de commerce simulées par un entraînement quotidien de ventes en fonction des taux. Dans un comptoir de 50 élèves, ceux-ci, affectés par deux, créaient une association dans une ville de France pour gérer tous les problèmes d’une maison de commerce, à partir de correspondances simulées entre les 25 villes, en liaison avec la Bourse. Chaque comptoir était animé par un professeur qualifié, supervisé par trois négociants, avec une graduation des difficultés à résoudre sur trois semestres. Enfin, un tour de France de trois mois, par groupes de 4 à 6 élèves accompagnés d’un professeur, prévoyait la visite de manufactures, de « places de commerce » et de villes maritimes. C’était en fait un modèle prophétique de ce qu’allait être l’enseignement commercial pendant plus d’un siècle. Le chimiste et ancien ministre Chaptal prenait la présidence d’un Conseil de Perfectionnement en 1824, date à laquelle la promotion comprenait 30% d’étrangers, soit 34 sur 116. En 1869, la chambre de commerce de Paris devint seule propriétaire de l’École, 50 ans après sa création. II. LA MULTIPLICATION DES ÉCOLES DE COMMERCE L’École Supérieure de Commerce de Paris devait servir de modèle à l’apparition d’écoles de commerce dans les villes de province : – Le Havre et Rouen en 1871, créées en particulier sous l’influence des industriels textiles vosgiens partis avant l’occupation prussienne – Lyon et Marseille en 1872 – Bordeaux en 1874 – HEC à Paris, en 1881. Le 31 mars 1890, les sept écoles obtinrent leur reconnaissance par l’État, bientôt suivies par Lille en 1892 et Montpellier en 1897. La loi du 9 avril 1898 portant organisation et attributions des chambres de commerce prévoyait que ces établissements publics pouvaient fonder et administrer des écoles pour la propagation des connaissances commerciales et industrielles. En 1900 furent créées les Écoles d’Alger, Dijon et Nantes. En 1906 « HEC-Nord » (devenue l’EDHEC en 1952) par la faculté catholique de Lille, en 1912 Toulouse par la chambre de commerce de cette ville, en 1913 l’ESSEC par la faculté catholique de Paris, en 1929 Clermont-Ferrand, en 1920 Strasbourg et en 1926 Reims par les chambres de commerce de ces villes. Jusqu’en 1921, toutes les écoles étaient sous la tutelle du ministère du Commerce. À la suite de la loi Astier, elles passèrent ensuite sous la tutelle de la direction de l’enseignement technique du ministère de l’Éducation Nationale. Le décret du 3 décembre 1947 uniformisa l’enseignement et la règlementation de toutes les Écoles supérieures de Commerce. Seules HEC, l’ESSEC et l’EDHEC conservèrent des règlements pédagogiques propres. Vers 1960 la CCI de Strasbourg transmit son école à l’université Robert Schuman : elle devint l’IECS, puis l’EMS , de la même façon que l’Université de Nancy gérait l’ICN. Ensuite furent créées les écoles de Poitiers en 1961, Amiens et Brest en 1962 et Nice en 1963. Rappelons que l’ESC Lille s’est développée alors dans le cadre d’une association présidée par le Recteur d’académie. En 1966, les Écoles quittèrent la tutelle de l’Enseignement Technique pour passer sous celle du ministre chargé de l’Enseignement Supérieur. Les ESC devinrent des « Écoles Supérieurs de Commerce et d’Administration des Entreprises », s’inspirant ainsi des Instituts d’Administration des Entreprises créés dans quelques universités à partir de 1956. Ce changement de tutelle allait être à l’origine des transformations de ces établissements au cours des décennies suivantes. Dans ce nouveau contexte apparurent les Écoles de Pau en 1969, de Tours en 1981 et de Grenoble en 1984. Entre-temps, l’ESCP en 1970, ainsi que l’ESC Lyon en 1975, avaient quitté le « réseau » des ESCAE et la CCIP avait créé l’École Européenne des Affaires (EAP) en 1973. Puis les plus récentes : Chambéry, La Rochelle, Rennes, Saint-Etienne et Troyes. Certaines de ces écoles avaient choisi une spécificité lors de leur création. Ainsi, Tours s’était appuyé sur l’informatique, Grenoble sur la coopération avec des écoles d’ingénieurs, Chambéry sur les sports, Rennes sur un partenariat avec l’Open University de Londres … Enfin, il faut signaler l’existence de plusieurs écoles privées comme l’ESLSCA, l’ISC, l’INSEEC, l’IPAG et l’ISG. III. LA PÉDAGOGIE Jusqu’au milieu du XXème siècle, les écoles de commerce avaient essentiellement pour objectif de former de futurs dirigeants de PME et de PMI, ainsi que des adjoints pour les dirigeants de grandes entreprises. À titre d’exemple, l’enseignement dans toutes les ESC prévu au niveau national par la direction de l’enseignement technique en 1947 comportait un tronc commun de 26 heures en 1ère année, comprenant des cours d’économie, de sociologie, de géographie économique, de droit civil et commercial, d’expression écrite et orale, de gestion financière et comptable, de mathématiques financières et statistiques et de deux langues vivantes. En deuxième année s’ajoutaient le droit public, l’organisation de l’entreprise, la psychosociologie et la gestion des sociétés (25 heures). La troisième année évoquait les problèmes économiques contemporains, le droit commercial comparé, le droit social, les assurances, la fiscalité, l’économie et les marchés financiers, la distribution. Également en troisième année, en plus des 15 heures de tronc commun, les élèves devaient choisir entre deux options, de chacune 10 heures : soit « finances-comptabilité », soit « distribution et commerce extérieur ». L’ensemble des horaires et des programmes était prévu pour chaque cours par le règlement national et comme me l’avait suggéré mon prédécesseur à Rouen, il suffisait d’engager localement un professeur par cours avant le début de l’année scolaire. La grille d’évaluation des études était nationale, ainsi que l’examen de sortie dont les sujets des épreuves écrites étaient envoyés par le ministère sous plis cachetés. Les épreuves orales étaient locales, ainsi qu’un rapport de stage. Seuls les établissements qui ne relevaient pas du décret de 1947 avaient des règlements pédagogiques indépendants, c’est-à-dire HEC, l’ESSEC, l’EDHEC, l’ICN, l’IECS et des écoles privées. Il est intéressant de noter que les établissements de Nancy et de Strasbourg étaient universitaires en particulier à la suite de la survivance des lois allemandes qui ne prévoyaient pas le versement d’une taxe d’apprentissage par les entreprises dans les trois départements d’Alsace-Moselle. Les enseignants étaient tous des vacataires, d’origines diverses selon les cours : – Professeurs de l’enseignement technique et experts-comptables – Avocats et enseignants de l’Université pour le droit – Enseignants de l’Université pour l’économie – Professionnels pour les cours évoquant les entreprises – Professeurs de lycées pour les langues, les cours d’expression écrite ou orale et les rapports de stages. Les entreprises étaient sollicitées pour offrir des stages aux élèves. En conclusion, jusqu’à la fin des années 50, les grandes entreprises et les PME étaient majoritairement dirigées par des ingénieurs, soucieux avant tout de la qualité de la fabrication. Les cadres commerciaux étaient chargés de vendre la production, de gérer l’entreprise dans les domaines administratif et comptable. Cependant, leur formation leur permettait d’exercer des fonctions de chefs d’entreprise, essentiellement de PMI ou dans le négoce, ainsi que des professions de conseil comme l’expertise-comptable.

2ème partie – DES ÉCOLES DE COMMERCE AUX GRANDES ÉCOLES DE MANAGEMENT

Au cours des années 50, après les reconstructions d’après-guerre et la perte progressive des marchés dans les anciennes colonies, se mettent en place les conditions qui devaient provoquer les mutations de l’enseignement commercial supérieur. Les « 30 glorieuses » provoquèrent un essor spectaculaire du tertiaire supérieur. La nécessité de vendre avant de produire fut à la base du développement du marketing, entraînant la maîtrise d’outils quantitatifs comme les probabilités. Un exemple donné alors était celui de la nécessité, pour les chantiers navals japonais, de ne pas fabriquer un pétrolier de 500.000 tonnes avant de l’avoir vendu. L’amélioration des moyens de transport contribua à l’ouverture des marchés nationaux et internationaux, nécessitant le développement de la logistique, de la distribution, de la publicité. Le changement d’échelle des activités des entreprises rendit indispensables des politiques nouvelles reposant sur la recherche de nouvelles formes de financement, tant pour faire face aux investissements qu’à l’accroissement des activités. La structure même de l’organisation des entreprises s’en trouva modifiée et vit se mettre en place la nécessité du management, intégrant toutes les fonctions de l’entreprise – dont la production, domaine des ingénieurs – dans la direction générale. Les conséquences furent que le manager eut à prendre en compte des modifications des comportements et des rapports sociaux nécessitant la maîtrise de la communication, élargissant la gestion du personnel dans les nouvelles fonctions de Direction des Ressources Humaines (DRH). Est-il besoin d’ajouter la montée en puissance de l’utilisation de l’informatique et des Nouvelles Techniques de Communication pour comprendre les défis auxquels a dû faire face l’enseignement supérieur de gestion ? I. LES TRANSFORMATIONS PÉDAGOGIQUES a) L’évolution de l’École des Hautes Études Commerciales La chambre de commerce et d’industrie de Paris fut à l’origine des transformations de l’enseignement supérieur commercial. 1) La réforme de 1958 d’HEC Elle fit suite à un rapport présenté en 1957 à la CCIP et se traduisant par des aménagements de l’enseignement dispensé dans l’établissement du boulevard Malesherbes. Je les ai connus puisque, enseignant en histoire-géographie à l’École Normale d’Arras, je fus détaché de l’Éducation Nationale à HEC le 1er janvier 1962 à la demande du professeur Alain Cotta, pour l’assister dans la création d’un Centre de Recherche Économique, en fait une expérience de troisième cycle. Les amphithéâtres restaient la base de la formation, dont les contenus devaient être pris en notes par les élèves dans les fameux « cahiers verts », contrôlés périodiquement par les surveillants, souvent d’anciens militaires, au nombre d’une quinzaine, qui constituaient l’encadrement permanent. Monsieur Guy Lhérault, directeur de l’École, veillait à ce que les professeurs soient de grande qualité et assurait les relations extérieures de l’École. Il était assisté par Monsieur Marcel Dutto, directeur des élèves, responsable de la bonne marche de l’établissement. Au cours des années 1962 et 1963, j’ai eu l’occasion de m’initier à l’enseignement de l’École et de participer à diverses activités (enquêtes auprès d’anciens élèves, étude des écoles similaires à l’étranger, écriture des premiers « cas » en français, …). À côté du droit, de l’économie, du commerce, de l’organisation de l’entreprise, de la mathématique de l’action, des conférences de méthode et de personnalités diverses, étaient enseignés en amphithéâtre un cours sur l’énergie et un cours de technologie présentant la fabrication de sept produits symbolisant des processus de production différents. Ces deux cours étaient destinés à faciliter le dialogue avec les ingénieurs à l’intérieur de l’entreprise. Ces cours magistraux étaient complétés par des comptoirs de comptabilité, des classes de langues étrangères le samedi après-midi et, pour la première fois, en troisième année, des groupes de discussion de cas de politique générale d’entreprises américaines animés par de jeunes anciens élèves d’HEC venant d’acquérir un MBA aux États-Unis. Le rapport de 1957 préconisait également la construction de nouveaux locaux, préalable nécessaire à des transformations plus importantes. 2. Le transfert d’HEC à Jouy-en-Josas, de 1964 à 1966 Après la décision d’achat d’une centaine d’hectares du parc du château de Jouy-en-Josas, les travaux d’aménagement et de construction permirent à la CCIP d’inaugurer les nouveaux locaux de l’école sous la présidence du général de Gaulle en juillet 1964. J’ai gardé un souvenir particulièrement vif de la description qu’il fit du projet d’avenir du Plateau de Saclay en tant que véritable « Silicon Valley » française. Ce transfert avait été précédé de commissions de réflexion réunissant des enseignants et des experts au cours de l’année 1962-1963 afin de déterminer les programmes à enseigner, dont j’avais eu l’opportunité de rédiger les procès-verbaux. Ce furent des réunions passionnantes, tant pour la détermination d’un nouveau programme d’études que pour les différentes formes de pédagogie à mettre en place. J’ai vécu ensuite, de 1964 à 1966, l’arrivée successive des trois premières années sur le campus, en qualité d’Attaché aux études. La 1ère et la 2ème année étaient divisées en deux semestres et la semaine comportait sept demi-journées de cours auxquelles s’ajoutaient des devoirs surveillés le samedi matin, trois après-midi étant consacrées aux sports, aux activités associatives et aux contacts en entreprises. Les amphithéâtres subsistaient en droit, en économie, en mathématiques, en comptabilité, en organisation (deux fois 50 minutes en début de matinée) mais ils étaient systématiquement suivis de groupes d’études d’1 h 20 pour une vingtaine d’élèves, sous forme d’exercices à préparer. Le marketing, la finance, la psychosociologie, l’informatique étaient enseignés sous la forme de discussions de cas que les élèves devaient préparer à l’avance, et les langues étrangères en petits groupes. Les élèves effectuaient trois stages : un stage ouvrier en fin de première année, un stage à l’étranger en fin de deuxième année et un stage de trois mois lié aux options au cours de la troisième année, dont l’enseignement reposait par ailleurs essentiellement sur des discussions de cas de politique générale d’entreprise. Les enseignants étaient encore des vacataires, mais ce fut au cours de ces trois années que d’anciens élèves d’HEC purent bénéficier de premières bourses pour aller étudier dans des business schools américaines et former ensuite le début de ce qui devait devenir un corps enseignant permanent. b) L’extension aux autres écoles L’ESSEC était la seule école qui avait commencé à faire évoluer son enseignement, parallèlement à celui d’HEC. Les ESCAE restaient figées par leur règlementation nationale, prévoyant des cours juxtaposés et non des enseignements « intégrés ». Cependant, la CCI de Rouen, voulant accompagner l’expansion économique prévue par le schéma d’aménagement de la Basse-Seine avait installé son École dans des locaux neufs sur le nouveau campus du Mont-Saint-Aignan dès 1966 et, par l’intermédiaire de M. André Blondeau, directeur de l’enseignement de la CCIP, je fus recruté pour la diriger à partir du 1er septembre 1967. En même temps que moi furent nommés Jean Vigier à la direction de l’ESCP et Michel Furois à l’ESCAE d’Amiens. Très vite, nous nous étions concertés pour envisager comment faire évoluer nos établissements. Rejoints par les directeurs des ESCAE de Dijon, du Havre et de Lille, nous nous sommes réunis un jour par semaine à l’ESCP pendant l’hiver 1967-68. Nous rédigeâmes un projet de programme à partir des besoins de chacune des fonctions de l’entreprise, aboutissant à une synthèse au niveau de la Direction générale en troisième année. Avant de l’imprimer, nous effectuâmes tous les six un voyage d’études aux États-Unis et au Canada pendant lequel nous fûmes reçus par les doyens de Busines Schools renommées (New York, Columbia, Wharton School, Harvard, Arm Arbor, Northwestern et HEC Montréal). Ce programme, baptisé « Plan Vert », supposait évidemment une autonomie pédagogique impossible à mettre en œuvre dans le cadre rigide de la règlementation nationale, héritée de la tutelle de la direction de l’enseignement technique. Nous négociâmes avec la direction des enseignements supérieurs et un arrêté du 12 février 1969 nous permit de prévoir la mise en place d’une année transitoire en 1969-70. Entretemps, le « Plan Vert » fut adopté par la Commission nationale des ESCAE. Il en résulta la publication de l’arrêté du 30 novembre 1970 par lequel le programme des ESCAE s’inspirait de nos travaux, mais n’avait qu’un caractère indicatif permettant l’autonomie pédagogique de chaque École. Un jury national supervisant les épreuves de l’examen de sortie permettait de maintenir un diplôme national. C’est la promotion 1973 qui bénéficia de ce nouveau dispositif règlementaire. L’ESCP ayant obtenu son autonomie complète en 1969, comme nous le verrons plus loin, eut lieu une tentative du même ordre des ESCAE de Bordeaux, Marseille, Reims et Rouen pendant l’hiver 1969-1970. Ce groupe de quatre écoles avait rédigé un document explicitant les critères nécessaires à respecter ainsi que les moyens matériels et financiers que cela supposait. Cette tentative n’eut pas de suite, car toutes les autres ESCAE se déclarèrent prêtes à répondre aux critères évoqués dès qu’elles en eurent connaissance. Elle eut cependant le mérite d’accélérer les investissements locaux, en matériel et en moyens humains, de l’ensemble des organismes de tutelle financière des Écoles. c) Le rôle de la FNEGE Pour terminer ce bref aperçu des transformations pédagogiques, il convient de signaler le rôle joué par la « Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises » dans le développement en France d’un corps d’enseignants permanents de Gestion. Créée en 1968 sous l’égide de Monsieur Ortoli, alors ministre de l’Industrie, elle fut soutenue au départ par l’APCCI et le CNPF. Elle eut pour objet essentiel de gérer les fonds mis en commun par ces trois entités afin de distribuer des bourses d’études d’un an dans des cycles de formation à l’enseignement de la gestion aux États-Unis et au Canada. Certains boursiers bénéficièrent également d’un soutien financier d’établissements qui s’engageaient à les recruter au retour. La FNEGE avait également pour mission de veiller à ce que ces enseignants respectent au retour leur engagement à intervenir à la fois en formation première, en formation permanente et en conseil. d) Les Universités intègrent l’enseignement de la gestion En 1956, Gaston Berger avait favorisé la création d’Instituts d’Administration des Entreprises (IAE) dans plusieurs facultés de droit et de sciences économiques. La gestion restait du domaine des BTS dans les lycées techniques. En 1967-68, les Instituts Universitaires de Technologie secondaires et tertiaires (IUT) devaient devenir le premier échelon d’universités de technologie, dont le projet de création disparut avec les événements de mai 1968. C’est seulement en 1970 que la gestion cessa d’être une simple option des études de Sciences économiques. À partir de 1969, le développement de l’université de Paris IX Dauphine et l’action de la FNEGE furent déterminants pour créer une agrégation de gestion et un cycle d’enseignement complet jusqu’au doctorat. Les années 1990 virent la création des instituts universitaires professionnalisés (IUP). Depuis, la professionnalisation des Universités s’est accentuée avec l’essor des masters professionnalisés à côté des masters de recherche. II. L’ÉVOLUTION DES MODALITÉS D’ADMISSION Dès la première reconnaissance par l’État de 1890, un concours d’entrée était prévu pour les écoles concernées. Jusqu’en 1957, le programme des concours d’admission était celui du Baccalauréat et des épreuves à option et/ou des coefficients différents permettaient de tenir compte des divers baccalauréats. a) Une seule voie d’accès C’est dans le rapport sur HEC à la CCIP de 1957 cité plus haut, qu’apparaît l’idée que les études préparatoires ne doivent plus être un contrôle supplémentaire du baccalauréat, ce qui permettait aux élèves les plus doués d’être admis à l’École immédiatement après l’obtention du diplôme. Dès 1958 : – L’épreuve de composition française est remplacée par une épreuve de culture et sciences humaines, sur une base à la fois littéraire et philosophique – Les épreuves d’histoire-géographie deviennent « histoire et géographie économiques », abandonnant la géographie physique – En mathématiques, l’arithmétique et l’algèbre remplacent la géométrie et la trigonométrie – Pour les épreuves de langues vivantes, les thèmes et les versions sont complétés par des commentaires de textes et des interrogations orales – Les épreuves de physique et de chimie ne sont abandonnées qu’en 1967. L’objectif était déjà d’avoir un concours équilibré entre les disciplines littéraires, les disciplines scientifiques et les langues étrangères. Cet objectif fut toutefois perturbé par le désir de la direction d’HEC au début des années 60 de mettre fin à une pratique des lycées qui tendaient à conseiller « math sup » pour les candidats à toutes les grandes écoles, en fin d’année les meilleurs passant en « math spé » pour préparer les écoles d’ingénieurs, les autres étant transférés en classe « HEC ». L’importance des modifications de gestion des entreprises évoquées plus haut exigeait que la reconnaissance du niveau des candidats soit aussi valable pour les écoles de gestion que pour les écoles d’ingénieurs. Le moyen utilisé fut un renforcement des programmes et du niveau des épreuves de mathématiques aux concours d’HEC et de l’ESSEC, suivis par l’EDHEC. En ce qui concerne les ESCAE , dès 1966, année de leur passage sous la tutelle de la direction des enseignements supérieurs, les épreuves alignèrent leurs programmes sur ceux des deux écoles parisiennes afin d’en faciliter la préparation. Il s’agissait d’un concours national depuis 1947, ouvert aux jeunes filles, sauf pour l’ESCP, car la CCIP gérait encore l’école HEC-JF, dont la finalité était surtout de former des secrétaires de direction. À titre d’exemple, l’ESC Rouen était mixte depuis 1921. Les jeunes filles avaient-elles les mêmes débouchés que les garçons ? Par sécurité, jusqu’à la fin des années soixante, elles apprenaient obligatoirement la sténographie et la dactylographie, enseignement facultatif pour les jeunes gens. Les candidats s’inscrivaient à l’une des ESCAE mais indiquaient plusieurs choix pour le cas où le classement national ne leur permettrait pas d’entrer dans l’école choisie en premier ; en fait, seule l’ESCP avait une liste complémentaire de reçus qui étaient affectés dans d’autres écoles. Par exemple, Rouen avait ouvert 125 places à son concours en 1969 : sur les 236 candidats inscrits à Rouen en premier choix, il n’y en eut que 76 au-dessus de la barre nationale, si bien que 49 inscrits sur la liste complémentaire de l’ESCP furent affectés à Rouen. b) La diversification des admissions Un certain nombre de décisions et d’aménagements devaient venir diversifier des modalités d’admission qui étaient jusque-là uniques pour chacun des établissements : la première diversification fut en fait l’existence d’un concours d’admission directe en deuxième année à HEC pour les étudiants étrangers de l’Académie de Commerce International (ACI) annexée à l’École, les titulaires d’un DEUG, d’un DUT ou d’un diplôme d’ingénieur. Parallèlement, l’ESSEC avait développé également une voie d’accès en deuxième année pour des candidats au profil d’ingénieur. 1. L’arrêté du 18 juillet 1967 Le véritable point de départ de la diversification fut une initiative présentée par le Recteur de l’Académie de Rouen, Monsieur Paul Pastour, pour permettre à des diplômés d’IUT scientifiques de l’université de Rouen d’intégrer l’ESC de Rouen afin de former des « technico-commerciaux » dont les entreprises manquaient. Les discussions préalables s’étaient inscrites dans le cadre du projet, abandonné en 1968, de la création d’universités de Technologie. L’arrêté du 18 juillet 1967 ouvrit la voie des admissions parallèles en première année des ESCAE pour des étudiants de fin de première année de licence ès sciences économiques, de droit, de lettres ou titulaires d’un DUT scientifique. Il entra en application en 1969, chaque école organisant ses propres épreuves de contrôle en langues et en mathématiques. 2. Le concours autonome de l’ESCP La session 1970 vit l’ESCP organiser son propre concours après avoir obtenu en 1969 l’accord du ministère pour quitter le réseau national des ESCAE. Celles-ci virent ainsi modifier les reports des listes complémentaires. Dans un premier temps, Rouen bénéficia de son image de « 4ème Parisienne » et joua le rôle qui était auparavant celui de l’ESCP : 561 candidats au concours de 1970 contre 236 en 1969, 234 reçus à la barre nationale pour 140 places, d’où l’affectation de sa liste complémentaire dans les autres écoles. Le mouvement se confirma au cours des trois années suivantes : 603 candidats en 1972, 1018 en 1973, dont 300 jeunes filles – Rouen ayant bénéficié de la fermeture d’HEC-JF annoncée pour 1975 alors que les trois écoles parisiennes n’étaient pas encore mixtes et que la mixité des classes préparatoires s’accélérait rapidement. 3. L’épreuve orale d’entretien Inaugurée lors de la session de 1971, cette nouvelle épreuve orale cherchant à évaluer la personnalité et la motivation des candidats fut diversifiée par chaque école, du « face à face » d’HEC aux entretiens plus classiques. Elle fut l’objet de nombreuses réactions de rejet de la part d’enseignants de classes préparatoires mettant en cause son caractère « subjectif » et ne correspondant pas à un programme prévu dans la préparation aux concours. La dédramatisation fut apportée par l’organisation de journées « portes ouvertes », dont l’une des premières à Rouen le 27 janvier 1972, à l’intention des enseignants de classes préparatoires et l’invitation qui leur fut faite de venir assister aux épreuves orales des concours. 4. L’autonomie de l’ESC Lyon Elle se manifesta dès 1975 par un concours séparé de l’ESC Lyon, autorisée par le ministère à quitter à son tour le réseau des ESCAE. Le ministère s’étant déchargé de la gestion des concours, l’une des conséquences au cours des années suivantes fut la recherche par chaque ESCAE corrigeant ses propres copies dans le cadre du concours national, de recruter par elle-même et de se passer des listes complémentaires d’autres écoles, au préjudice de celles qui avaient des candidats de meilleur niveau. 5. L’arrêté du 6 août 1976, portant règlement des ESCAE, remplace l’arrêté du 30 novembre 1970 En ce qui concerne les concours, il modifia les conditions de candidature aux admissions parallèles : – L’admission en 1ère année fut réservée aux étudiants titulaires d’un diplôme de fin de 1er cycle universitaire (DEUG ou DUT ) ou d’un titre admis en équivalence (BTS en particulier) par l’École – La possibilité d’admission en 2ème année fut ouverte aux étudiants titulaires d’un diplôme sanctionnant un cycle d’au moins trois ans après le baccalauréat, d’un diplôme d’ingénieur ou d’un titre français ou étranger admis en équivalence. 6. L’ouverture d’une option « technologique » aux concours à la session 1978 Pour la première fois depuis 1966, les épreuves des concours sur le programme des classes préparatoires n’étaient plus uniques pour tous les candidats. Des épreuves nouvelles correspondaient au programme des classes préparatoires technologiques ouvertes en 1976, affectées de coefficients propres. Ces classes eurent, dès le départ, une durée d’études de deux années. Aucun quota n’était prévu pour les candidats dont les résultats étaient comptabilisés avec ceux des autres candidats. 7. L’arrêté du 30 septembre 1981 Il eut pour objet de rééquilibrer les résultats à l’intérieur du concours national des ESCae, certaines écoles ayant tendance à reprendre le sigle ESC ou « Sup de Co » : – Établissement d’une grille nationale des coefficients avec variations possibles d’un point en plus ou en moins par coefficient dans un total fixe – Choix limité à cinq écoles par candidat – Brassage national des copies et barre d’admissibilité remplaçant les pratiques locales des années nationales précédentes – Seuls les oraux et la barre d’admission restaient propres à chaque école. À la place de la direction des enseignements supérieurs qui s’en était déchargée depuis plusieurs années, c’est la direction de la formation de l’ACFCI (Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie) qui prit en charge la gestion des copies et des notes, en accord avec le collège des directeurs des Écoles. Une conséquence : l’ESC Rouen bénéficia à nouveau d’une liste complémentaire. 8. L’ouverture de l’option « économique » aux concours à la session 1982 Elle fit suite à la création de neuf classes préparatoires spécifiques à la rentrée 1981 destinées à des bacheliers titulaires d’un baccalauréat général d’une série « autre que C ». En fait, il s’agissait des titulaires d’un Bac B pour lesquels trois épreuves spécifiques furent créées : culture générale, histoire et analyse des sociétés contemporaines, mathématiques. Les écoles, n’ayant pas été consultées lors de la création de la série B du baccalauréat, craignaient la création d’une filière obligatoire à terme alors que les principales d’entre elles tenaient à préserver le recrutement sur la filière scientifique (série D et surtout série C). Ceci explique leur réticence lors de la création du Bac B et le retard qu’elles mirent à y adapter leurs concours. Comme pour l’option technologique en 1978, aucun quota n’était prévu et les résultats étaient comptabilisés avec les autres candidats, le nombre d’épreuves étant le même pour chaque option. À la suite de quoi l’option « générale » devint l’option « scientifique » pour les bacheliers de la série C, puis S. 9. La naissance d’ECRICOME en 1987 Les écoles de Reims et Rouen se rapprochèrent de l’EDHEC et de l’ICN pour créer un concours commun aux quatre écoles en 1988, sans que cela ne porte préjudice aux candidats en rajoutant un concours puisque l’EDHEC et l’ICN supprimaient leurs propres concours. L’argumentaire présenté consistait à constituer un groupe d’écoles qui considéraient avoir un niveau homogène, supérieur à celui des autres ESC. 10. La banque commune d’épreuves écrites Créée en 1990, elle entra en application à la session 1991. Elle eut deux causes principales : – La première fut la réaction des ESC après la naissance d’ECRICOME. Estimant leur image dévaluée par les conditions présentées par les Écoles de Reims et de Rouen pour quitter le réseau des ESC, elles se rapprochèrent des trois écoles parisiennes et de l’ESC Lyon pour montrer que leur niveau leur permettait de recruter en commun avec elles. – La seconde fut l’incitation de la direction des enseignements supérieurs qui attendait qu’une initiative soit prise pour réduire la durée du calendrier des épreuves écrites des concours dans les Grandes Écoles. Ma participation au CNESER favorisa le fait que nous fûmes précurseurs à cette époque. Sous l’égide de l’ACFCI , les écoles concernées, (HEC, ESSEC, ESCP, EAP, ESC Lyon et 18 ESC) convinrent : – De réduire d’au moins 1/3 le nombre d’épreuves des concours d’admission aux Grandes Écoles de Commerce, de 33 il passait à 20, soit 10 jours au lieu de 16 et demi – D’offrir cependant aux candidats la possibilité de plusieurs épreuves par discipline et de permettre à chaque école d’affirmer ses spécificités – De décider que l’École ou la Banque d’épreuves ouvrant l’une de ses épreuves à d’autres écoles en assure la conception et la correction – D’harmoniser et de simplifier les procédures d’inscription – De confier la gestion de l’ensemble à la Direction des Admissions et Concours de la CCIP*, chaque école conservant son propre jury d’admission. Ainsi disparaissait définitivement le concours national des ESC créé en 1947. Il est à noter que dès le concours 1993, l’EDHEC avait quitté ECRICOME et rejoint la Banque commune. En revanche Bordeaux et Marseille rejoignirent ECRICOME. 11. Les épreuves « ESC » dans la BCE Assez vite plusieurs écoles éprouvèrent des difficultés à utiliser les résultats d’épreuves qui se révélaient inadaptées du fait de leur difficulté et d’un trop grand nombre de copies notées faiblement. On peut citer à titre d’exemple l’épreuve de contraction de texte d’HEC qui passa brutalement de 3.000 à plus de 7.000 copies. C’est pourquoi furent créées en 1995 des épreuves baptisées « ESC » à l’intérieur de la BCE, dont le choix des sujets et l’harmonisation de la correction des copies furent confiés à un jury national d’harmonisation, dans le cadre de l’ACFCI, chargé de respecter les besoins des écoles concernées. 12. L’ouverture d’une option littéraire à la session 1995 À la suite du décret du 23 novembre 1994 portant organisation générale des classes préparatoires aux Grandes Écoles, furent mises en place deux innovations fondamentales : d’une part, le passage à deux ans des classes économiques et commerciales et, d’autre part, la création d’une option littéraire aux concours d’admission dans les Grandes Écoles de Commerce et de Gestion. Cette option fut créée pour les élèves des classes préparatoires littéraires. Elle prévoyait trois épreuves communes avec les autres options (synthèse de textes, première et deuxième langue), deux épreuves spécifiques de dissertation (littéraire et philosophique) et deux épreuves à option à partir des programmes des classes A/L, B/L et « Fontenay Saint-Cloud ». 13. L’ouverture à l’international Pour être complet en ce qui concerne la diversification des voies d’admission, il faut évoquer les recrutements d’étudiants étrangers. Avant 1970, il n’y avait que deux voies d’accès pour eux : l’Académie de Commerce International annexée à HEC qui délivrait un diplôme spécifique permettant de se présenter aux concours d’admission directe en 2ème année d’HEC et pour les ESCAE le recrutement en qualité d’auditeur agréé en 1ère année, avec possibilité de devenir élève régulier en 2ème année. De nombreux liens se nouèrent ensuite entre les Écoles et des universités étrangères par échanges d’étudiants, échanges d’enseignants et à partir des années 80 par accords de doubles diplômes. Nous avons vu que le règlement de 1976 des ESCAE prévoyait la possibilité d’admission parallèle en 2ème année d’étudiants étrangers. De nombreuses autres initiatives se développèrent comme le programme européen « CEMS » ou le parcours « Pim » en anglais à HEC. Plusieurs écoles se groupèrent pour créer le CIAM (Centre International d’Aptitude au Management) et recruter à partir de tests et d’entretiens.
Ceci étant, la base de référence du niveau d’admission dans les Grandes Écoles de management françaises reste encore à l’heure actuelle celle de l’enseignement donné dans les classes préparatoires économiques et commerciales.

3ème partie – LES CLASSES PRÉPARATOIRES

Le 29 juillet 1911, à la demande du ministère de l’Instruction Publique, Charles Legrand, président de l’Union des Associations des Anciens Élèves des lycées et collèges de France, chef d’entreprise et président de la CCP (Chambre de Commerce de Paris), présida la distribution des prix au lycée Louis-le-Grand. Il fit un brillant exposé sur « l’utilité des humanités dans le commerce et l’industrie », partant de l’exemple des rapports commerciaux entre les cités grecques, présenté par Thucydide dans son histoire des Grecs et terminant son propos en évoquant Rabelais « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et Montaigne « il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine » . Il fallut cependant attendre la fin de la Première Guerre Mondiale pour que le ministère de l’Instruction publique crée deux classes préparatoires : l’une au lycée Janson de Sailly et l’autre au lycée Carnot, en 1920. En 1926, il existait déjà 24 classes préparatoires, dont 11 privées, parmi lesquelles l’Institution Frilley à Paris. En 1931, 19 % des candidats à HEC venaient de classes de province, en dépit de l’opposition des CCI qui géraient des classes préparatoires pour leurs propres Écoles de commerce. HEC avait en effet ouvert plusieurs centres d’examen en province. Une anecdote concerne le concours de Saint-Cyr dont le programme de culture générale était proche de celui d’HEC, si bien que lorsque l’École de Saint-Cyr fut dissoute en 1942, sous l’occupation, le concours HEC accueillit clandestinement les candidats lors des écrits de mai 1944, les oraux ayant été subis après la libération par les « faux admissibles » à HEC. De ce fait, l’École reçut la Croix de Guerre 1939-45 pour faits de résistance. De 1945 à 1956, le directeur d’HEC, Monsieur Perrin, visitait chaque année les lycées possédant une classe préparatoire. Ceci étant, en 1956, 80 % des préparations étaient encore en région parisienne. Les classes préparatoires existaient dans les grandes villes et la plupart des ESC avaient des classes préparatoires annexées. Les « Prépas » se développèrent considérablement pendant les années 1960 à 1980, les classes préparatoires à l’école HEC devenant des classes préparatoires au « Haut Enseignement Commercial ». À titre d’exemple, en 1976, avant la création de l’option technologique, il existait déjà des classes préparatoires dans 13 lycées parisiens comprenant 29 divisions, 7 lycées de banlieue (9 divisions) et 39 en province (54 divisions), soit 92 divisions au total, réparties dans 59 établissements. Des préparations privées étaient au nombre de 8 à Paris et de 6 en province, auxquelles il fallait ajouter les classes préparatoires annexées aux ESCAE. 4.304 élèves étaient inscrits dans les classes préparatoires publiques en 1981-82, 5.527 en 1985-86. Je quittai Rouen en septembre 1985, appelé par Christian Vulliez, à prendre la direction des admissions et concours de la CCIP. Dès 1986, nous préparâmes un dossier sur la nécessité d’un programme des classes préparatoires sur deux années, comme cela était déjà le cas pour les classes scientifiques et les classes littéraires. Il devenait en effet de plus en plus difficile d’assurer les mises à niveau nécessaires et de parcourir à la hâte une formation en quelques mois. Sans alourdir le programme de connaissances, le projet envisageait en revanche des activités d’appréhension de l’environnement économique et social sous forme de visites, de travaux dirigés et d’un stage ou d’un travail rémunéré entre la première et la deuxième année. Ces activités auraient eu pour objectif de permettre aux élèves de mieux se situer au regard de leur avenir professionnel et d’améliorer ainsi leur prestation lors des épreuves orales d’entretien. Le rapport fut remis au ministre de l’Éducation nationale à la fin de l’année 1986. Il s’en suivit une longue concertation avec la direction des lycées et l’Inspection Générale sur les possibilités de mise en œuvre et les coûts possibles. Je rencontrais souvent l’Inspecteur Général Ovaert pendant cette période, envisageant des hypothèses de faisabilité pour le jour où la décision pourrait être prise. Ma participation à la section permanente du CNESER à partir de 1990 m’aidait à suivre le projet au ministère. En attendant, la direction des lycées accordait une priorité au dédoublement des classes pour l’ouverture de nouvelles divisions. Ainsi le nombre de divisions dans les lycées qui était de 136 (dans 90 établissements) en 1985-1986 passa-t-il à 257 (dans 143 établissements) en 1992-93. Par ailleurs à la session 1992, le nombre de places proposées par toutes les écoles (publiques, consulaires et privées) se montait à 8.293 pour un nombre de candidats potentiel d’environ 15.000 (candidats terminant la première année et redoublants). La rapidité de cet accroissement rendait la solution proposée de plus en plus urgente aussi bien du côté des directions d’Écoles que des enseignants de classes préparatoires dont vos représentants à l’AP-HEC, sous la présidence de Régis Benichi, faisaient ressortir les difficultés de plus en plus grandes de préparer convenablement des concours qui s’étaient diversifiés de plus en plus, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. En 1993, à la suite de demandes de chefs d’entreprises, dont Monsieur Pineau-Valencienne, le projet de passage à deux ans s’accompagna d’une demande de création d’une option littéraire dans les concours d’admission aux Grandes Écoles de Gestion. La décision que nous attendions vint du décret du 23 novembre 1994 qui présenta une organisation générale sur deux années des classes préparatoires scientifiques, littéraires, économiques et commerciales. Nous n’avions pas obtenu satisfaction à toutes nos demandes de modifications de programmes dans la mesure où il avait fallu trouver des solutions à coût constant sur le plan financier et donc en matière d’horaires des enseignants, tant en nombre d’heures de cours qu’en nombre d’interrogations orales, mais l’essentiel était réalisé : les élèves des « épices » ne seraient plus pénalisés et bénéficieraient de la même durée d’études que ceux des autres classes préparatoires. Au préalable, au printemps 1994 la direction des enseignements supérieurs avait accepté qu’un avenant aux règlements pédagogiques des Écoles de commerce instituât une option « lettres et sciences humaines », ouverte aux élèves des classes préparatoires littéraires.

CONCLUSION

Au fil des décennies, les qualités nécessaires aux dirigeants et cadres des organisations sont restées les mêmes : – Posséder une culture scientifique, un raisonnement logique et une méthodologie d’approche des problèmes – Avoir une vision géopolitique et prospective des problèmes économiques et sociaux – Appréhender les dimensions culturelles qui caractérisent l’évolution du contexte international – Communiquer le mieux possible par écrit et par oral en français et dans au moins deux langues étrangères, dont obligatoirement l’anglais – Faire preuve de qualités d’adaptation, d’imagination, de motivation et de stabilité – Utiliser les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Cela justifie la pertinence des études en classes préparatoires. Ceci étant, il faut tenir compte de deux évolutions qui vont conditionner l’avenir des modalités des diplômés admis par d’autres voies à l’heure actuelle les Écoles. La première est l’accroissement du nombre d’étudiants admis dans les Grandes Écoles de management par des voies autres que les concours sur programme des classes préparatoires. En dehors des Écoles les plus importantes, le pourcentage des diplômés admis par d’autres voies dépasse souvent les 50 % à l’heure actuelle. La seconde est la mondialisation des études qui amène les Écoles à admettre de plus en plus d’étudiants étrangers selon des modalités qui ne peuvent être que différentes des concours sur les programmes des classes préparatoires. Le problème qui me paraît essentiel est la recherche d’une cohérence dans l’appréciation des candidats issus de viviers différents pour un même établissement. Il existe donc un ensemble de réflexions à mener par les directions des écoles, en liaison privilégiée avec les ministères concernés et les utilisateurs des diplômés, mais aussi avec des organisations comme l’AP-HEC. L’avenir des Grandes Écoles de management françaises est lié au maintien de la qualité de modalités d’admission performantes, tenant compte de la diversification de leurs viviers de recrutement.

GLOSSAIRE

ACFCI Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie
ACI Académie de Commerce International
AP-HEC Association des Professeurs de classes préparatoires au Haut Enseignement Commercial
BCE Banque Commune d’Épreuves Ecrites
BTS Brevet de Technicien Supérieur
CCI Chambre de Commerce et d’Industrie
CCIP Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris
CCP Chambre de Commerce de Paris
CEMS Community of European Management Schools and International Companies
CIAM Centre International d’aptitude au Management
CNESER Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
CNPF Conseil National du Patronat Français
DEUG Diplôme d’Études Universitaires Générales
DRH Direction des Ressources Humaines
DUT Diplôme Universitaire de Technologie
EAP École Européenne des Affaires
ECRICOME Groupe d’écoles qui organisent des épreuves écrites de concours d’admission
EDHEC École des Hautes Études Commerciales du Nord
EMS École de Management de Strasbourg
ENS École Normale Supérieure
ESC École Supérieure de Commerce
ESCAE École Supérieure de Commerce et d’Administration des Entreprises
ESCP École Supérieure de Commerce de Paris
ESLSCA École Supérieure Libre des Sciences Commerciales Appliquées
ESSEC École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales
FNEGE Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises
HEC École des Hautes Études Commerciales
HEC-JF École des Hautes Études Commerciales pour Jeunes Filles
IAE Institut d’Administration des Entreprises
ICN Institut Commercial de Nancy
IECS Institut d’Études Commerciales de Strasbourg
INSEEC Institut des Hautes Études Économiques et Commerciales
IPAG Institut de Préparation à la Gestion
ISC Institut Supérieur de Commerce
ISG Institut Supérieur de Gestion
IUP Institut Universitaire Professionnalisé
IUT Institut Universitaire de Technologie
MBA Master in Business Administration
NTIC Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication
PIM Programme International de management
PME Petites et Moyennes Entreprises
PMI Petites et Moyennes Industries

Documents joints