Madame la Ministre a proposé trois thèmes de réflexion aux participants à ces Assises :

  • agir pour la réussite de tous les étudiants,
  • donner une nouvelle ambition à la recherche,
  • concevoir un nouveau paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Ces trois thèmes sont au cœur de la réflexion de l’APHEC depuis de longues années, mais avant de développer ces sujets, il nous semble utile de les resituer dans le contexte des mutations qui affectent l’ensemble des systèmes d’enseignement supérieur à l’échelle du monde. Cette contribution vient compléter la contribution commune aux six associations formant la Conférence des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles en raison de la position très particulière de la filière Gestion et Management dans le paysage international.

La demande sociale, économique et culturelle envers l’enseignement supérieur s’est profondément modifiée au cours des trois ou quatre dernières décennies à la suite des grandes mutations – libéralisation des échanges, internationalisation de la production, émergence de nouvelles grandes puissances et d’un monde multipolaire, globalisation, instantanéité des moyens de communication, tertiarisation des économies les plus développées, etc. – caractérisant l’époque. Pour faire simple, on demandait autrefois à l’enseignement supérieur de fournir d’une part des cadres de haut niveau, en nombre limité, destinés à diriger les grandes entreprises ou à concevoir les grands projets technologiques, d’autre part des professeurs du secondaire et du supérieur, des chercheurs et des savants ou ce qu’il est convenu d’appeler des intellectuels. En France, la première mission revenait essentiellement aux Grandes Écoles, la seconde à l’Université à laquelle incombait traditionnellement de former aussi les juristes et les médecins. Une bonne instruction primaire était suffisante pour la grande masse de manœuvres et OS des années soixante et il revenait aux CET et autres STS de fournir la Nation en ouvriers qualifiés et cadres intermédiaires, techniciens de l’industrie ou de l’administration de l’État ou des entreprises. Chacun sait que la situation a radicalement changé et qu’aujourd’hui il est indispensable pour tenir leur rang dans un monde libéralisé et ouvert à la concurrence, que les États forment, en masse et en qualité, les acteurs de l’économie de demain.

L’APHEC qui fédère et relie plus de 1350 (sur 1600) professeurs des Classes Préparatoires Économiques et Commerciales, entretient un dialogue constant et fécond avec les grandes écoles de management et l’ensemble des acteurs institutionnels. Les écoles de commerce françaises ayant été les premières touchées par l’émergence d’une compétition internationale implacable, notre association s’est trouvée en demeure de comprendre vite et d’anticiper l’avenir. Cette position privilégiée lui a permis d’agir en toute lucidité pour le bien commun et le service de la Nation, en associant à son action l’ensemble dûment « éduqué » de ses adhérents. Elle a, bien entendu, été particulièrement attentive à ne pas rater le coche de la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur, instruite du rapport Attali et de la Convention de Lisbonne de 1997, de la déclaration de la Sorbonne de 1998, de la déclaration de Bologne fondant l’EEESR, et des suivantes. Elle a milité et obtenu, au prix d’un combat de plus de sept ans, l’insertion du dispositif des CPGE dans le processus de Bologne. Ceci s’est traduit par l’attribution de 120 crédits du système ECTS, la délivrance par le Recteur d’Académie, Chancelier des Universités, d’une attestation descriptive du parcours de formation et d’un catalogue du cursus suivi, permettant à toute institution d’enseignement supérieur de par le monde de connaître et reconnaître les parcours effectués par chacun de nos étudiants. Ce progrès a été combattu jusqu’au bout par des lobbys déterminés et puissants. Il est piquant de constater qu’un an après la signature du décret du 3 mai 2007 modifiant le décret n° 94-1015 relatif à l’organisation du dispositif CPGE, les mêmes en devinrent les thuriféraires les plus zélés, vantant la simplicité et la fluidité qu’il introduisait dans la reconnaissance des parcours effectués dans nos classes…

Fort heureusement, la polémique est close et le devoir de chacun est désormais d’envisager l’avenir avec pour seul souci l’intérêt supérieur de la Nation. La contribution qui suit aura pour unique fil directeur la volonté d’apporter notre pierre à l’édification d’une économie de la connaissance telle que définie en 2002 par la stratégie de Lisbonne, confirmée et prolongée par la stratégie Europe 2020, sur fond de compétition internationale des systèmes d’enseignement supérieur et de recherche, en ayant toujours en vue la déflagration provoquée la même année par le premier classement de Shanghai.

I) Agir pour la réussite de tous les étudiants

Chacun est conscient du gâchis que représente l’échec scolaire. 150 000 élèves sortant chaque année du système éducatif sans aucune qualification, c’est un drame, qui – en effet cumulé – est une véritable bombe à retardement, tant sur le plan économique que social. Si l’on y ajoute les piètres performances moyennes – et en baisse régulière – révélées par les enquêtes PISA, la distribution sociale des inégalités scolaires, on comprend que l’école, creuset de la Nation, aura vécu, si des mesures de sauvegarde ne sont pas prises dans les meilleurs délais. L’éducation est un tout, un continuum, même si l’on y distingue enseignements primaire, secondaire et supérieur. Pour résumer, la réussite de tous n’est pas seulement une obligation morale et républicaine, c’est aussi une nécessité économique si l’on veut éviter que notre pays ne régresse inexorablement et que sa voix dans le concert des Nations ne soit affaiblie. Une politique très volontaire de remédiation précoce s’avère donc indispensable.

Mais venons en maintenant au seul cas de l’enseignement supérieur. Il est clair qu’il hérite d’un distillat déjà fortement concentré, ce qui est son premier problème, mais que la distillation ne s’arrête pas là, comme en témoigne l’échec massif et de nouveau très marqué sociologiquement des premiers cycles, principalement universitaires. Avant d’envisager les remèdes possibles, il faut poursuivre l’analyse : la réussite d’un étudiant ne saurait se limiter à l’obtention d’un diplôme ; la réussite, c’est d’abord l’insertion professionnelle, la richesse personnelle qui en résulte et le bénéfice qu’en tirera, pendant quarante ans et plus, la Nation. On voit donc que la réussite d’un étudiant est affaire d’orientation, d’accompagnement individuel, de suivi et de comblement des lacunes accumulées.

L’orientation est une question redoutable et, s’il faut saluer le remarquable travail effectué ces dernières années par l’ONISEP, c’est un travail de Sisyphe, sans cesse à recommencer, tant les offres de formations abondent, se multiplient ou meurent, nécessitant un recensement permanent. Mais, même à supposer cela réalisé, il y manquerait encore l’essentiel : les prérequis nécessaires et les débouchés réels des formations proposées ainsi que leur adéquation au marché du travail. Est-il assuré qu’un bac pro permette de s’engager avec succès en L1 de philosophie ? À quoi sert d’accueillir 1500 étudiants en première année d’une filière sans débouchés réels si ce n’est à en perdre 90 % avant la licence dont beaucoup se réorienteront dans une autre L1 aux débouchés tout aussi incertains ; pourquoi proposer tant de places en master « Métiers de l’Édition » si ce n’est à nourrir une cohorte de stagiaires à 450 euros mensuels qui occuperont des postes de cadres pendant de longs mois, sauf à posséder un carnet d’adresses bien fourni ou mieux encore une particule de haute lignée. L’atout du système CPGE-GE est de ce point de vue considérable, les grandes écoles entretenant avec le monde de l’entreprise, publique ou privée, des rapports constants pour ajuster tant les flux que leur offre de formation. L’APHEC a développé quant à elle un site d’information très fourni, ergonomique et bien référencé dans les moteurs de recherche, permettant aux lycéens et à leur famille de découvrir vers quoi ils s’engagent, la multiplicité des débouchés offerts, le chemin à parcourir. Il nous semble que c’est l’exemple à suivre et que toute l’institution pourrait s’en inspirer pour rendre plus simple et moins confuse l’information pléthorique, mais incomplète qui prévaut.

Le coût des études dans les grandes écoles de commerce, assumé pour l’essentiel par les familles, est bien évidemment un frein pour les plus modestes. Notre association envisage donc de créer une fondation ou un fonds de dotation permettant de façon simple et transparente de fournir bourses et aides diverses à tous les étudiants s’engageant dans cette voie. Ce fonds pourrait être géré bénévolement par d’anciens élèves et professeurs retraités et être alimenté par les anciens élèves, un flux annuel de 10 000 futurs anciens – soit 250 000 en stock pour les 25 dernières années – aux revenus confortables et occupant des postes de premier plan dans des entreprises florissantes suffisant à l’abonder. L’argent ainsi recueilli permettrait en aval comme en amont – par le biais de dispositifs du type « Cordées de la réussite » dont nous signalons que l’APHEC est signataire de la charte qui les régit – d’apporter aide et secours autant que de besoin, tant il est temps de réinventer la pédagogie du contrat.

La construction d’un projet professionnel est un processus de maturation parfois très lent et chacun a besoin d’un véritable accompagnement pour trouver sa voie.

Accompagnement et suivi individuel sont des pratiques parfaitement rodées dans nos classes, comme dans les écoles qui disposent généralement de services dédiés à cet effet. Dans nos classes, outre la proximité des enseignants, le système des « interrogations orales » fournit le cadre idéal pour conseiller, soutenir les étudiants et remédier à leurs lacunes éventuelles. Elles sont assurées par les professeurs, mais aussi des collègues de lycée, de CPGE, des universités et par bon nombre d’anciens étudiants parvenus en cycle master GE ou universitaire. Cet exemple est à méditer et nous pensons qu’il serait bon de l’étendre à l’ensemble de notre enseignement supérieur, via un système de monitorat, fournissant aide, conseils et soutien scolaire aux étudiants, ainsi qu’un revenu conséquent, et substituable à des bourses, aux moniteurs, leur offrant de plus un approfondissement des savoirs si l’on observe que tout enseignement dispensé conduit le professeur à une plus grande maîtrise des connaissances possédées.

II) Donner une nouvelle ambition à la recherche

L’enjeu est évidemment considérable, mais si l’on se réfère à la stratégie de Lisbonne déjà évoquée, il apparaît que le problème est incomplètement posé et qu’une réponse à cette seule question le serait tout autant. Recherche et innovation sont en effet inséparables et doivent être traitées de concert. Notre pays possède évidemment de sérieux atouts sur le premier sujet comme en témoigne le nombre de médailles Field, de prix Nobel, de publications de très haut niveau dans les revues scientifiques les plus en vue. Il est clair en revanche que sur le second point, le bât blesse. Il est donc impérieux de bâtir dans notre enseignement supérieur, et dès le début des parcours, une véritable culture de l’innovation. L’APHEC y est pour sa part disposée et compte, en accord avec les grandes écoles de commerce, faire rapidement des propositions au MESR.

Il est utile de noter qu’une part non négligeable des diplômés des grandes écoles de commerce s’orientent vers la recherche et poursuivent, en France comme à l’étranger, des études doctorales. La formation très généraliste proposée dans nos classes leur laisse un large choix, et nous comptons parmi nos anciens des docteurs en mathématiques, en économie, en philosophie, en histoire, en géographie, en droit, en gestion, en langues, en lettres et même en physique ou médecine. Il faut néanmoins avoir à l’esprit que bon nombre d’entre eux exercent leurs talents par delà nos frontières, les rémunérations et les carrières proposées par notre pays aux diplômés à Bac+8 ou mieux encore, à Bac+16 pour les titulaires d’une HDR, étant ce que chacun sait ! Aucune réflexion sur le développement de la recherche dans notre pays ne pourra faire l’impasse sur ce point qui sort évidemment de notre domaine de compétence.

L’innovation repose, nous l’avons dit, sur une culture de l’innovation, ce qui, au-delà du truisme, suppose une porosité beaucoup plus grande avec le monde de l’entreprise, une culture de l’entrepreneuriat, une formation pour tous aux réalités économiques et géopolitiques, une réelle mixité dans le monde des décideurs. Que seraient la « Silicon Valley » sans Berkeley, le « Research Triangle Park » sans Duke, NCSU et Sainte-Anne ? Sophia Antipolis est une réelle réussite, mais par trop isolée.

III) Concevoir un nouveau paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche

Avant d’aborder ce sujet, de loin le plus important pour ces Assises puisqu’il débouchera rapidement – trop peut-être – sur une loi, quand un cadre réglementaire suffira pour les deux premiers thèmes, il nous semble utile de faire, conformément à notre fil directeur, un tour par l’international.

En remarque liminaire, il nous faut insister sur un point capital. Il n’y a pas un modèle atypique, le système « dual » français, et un modèle universel, le système universitaire. Il y a une variété de modèles ; tous sont donc atypiques. Mais le classement de Shanghai a révélé que le modèle anglo-saxon est, relativement à un ensemble de critères que chacun peut critiquer à sa guise, le modèle le plus performant. Un court focus sur ces systèmes s’impose. Une université nord-américaine est un ensemble de facultés, d’écoles, d’instituts, de collèges et d’institutions diverses, jouissant d’une très large autonomie, dans un établissement lui-même autonome, qui est avant tout une marque lisible, identifiable et crédible. Harvard en est l’exemple emblématique, mais la France ne saurait se limiter à l’imiter ! De plus, il existe outre-Atlantique ou plus simplement outre-Manche une grande variété de modèles universitaires, des universités-villes telles Cambridge ou Harvard, comme des modèles multisites et en réseau telles les universités de Californie ou du Texas. Berkeley n’a rien à envier à Duke, ni Harvard au MIT ou à NYU.

Ce qui est clair, c’est que la France a un sérieux chemin à parcourir pour que ses établissements d’enseignement supérieur soient admis à jouer dans la cour des grands. D’abord abandonner sa manie des acronymes abscons, PRES et autres IDEX n’ayant aucun sens pour les étrangers ! L’objectif doit être de construire un système d’enseignement supérieur efficace et performant, par des regroupements de petites universités qui ne sont, au vu des standards internationaux, bien souvent que des facultés, en évitant tout autant « Clochemerle » que la tentation bien française de l’uniformisation. La première des priorités est d’aboutir à un paysage réconcilié, ce qui suppose dialogue, respect, invention, innovation pour employer un mot qui nous est cher. Les ouvriers de ce chantier seront avant tout des hommes et des femmes œuvrant dans des institutions diverses, à différents postes de responsabilité, ayant des statuts divers et tous respectables, qui peuvent sans doute être rapprochés si c’est au bénéfice de tous et de chacun. Il faudra veiller à ne léser personne et à éviter les contre-vérités, fruits de l’ignorance, comme les mensonges, fruits de calculs mesquins. Au nombre de ceux-ci, non, il n’est pas vrai que la France est le seul pays au monde à dispenser des enseignements relevant du supérieur dans des établissements secondaires : les « prep’ schools » américaines, les « colleges » tels Eton, permettent de valider jusqu’à deux années universitaires !

Être inventif, c’est concevoir pour une même institution la cohabitation d’un ancrage régional et territorial et une mise en réseau. Le réseau des classes préparatoires est une réalité de fait et la signature, sous l’égide de la DGESIP, par les présidents de la CPU, de la CGE, des associations représentatives de professeurs de CPGE et des proviseurs, d’un protocole relatif à la création du comité de concertation et de suivi des classes préparatoires aux grandes écoles, disposition arrachée par l’APHEC lors de la révision du décret n° 94-1015 déjà cité, est l’embryon de sa réalité de droit.

Bien entendu, toute réflexion sur le nouveau paysage doit reposer sur son existence future et non sur la situation actuelle. Une intégration pure et simple des CPGE aux universités d’aujourd’hui serait pour l’APHEC au mieux un non sens, au pire une erreur dramatique. Envisageons demain et mesurons le chemin à parcourir, privilégions le dialogue conventionnel pour l’ancrage territorial, évitons de casser ce qui marche – la position plus qu’enviable de nos écoles de commerce dans les classements internationaux est un trésor qui repose largement sur la qualité de l’enseignement délivré dans nos classes –, préservons donc le cadre national qui régit nos enseignements, gage d’égalité républicaine, fortifions le réseau de nos classes, entamons une vraie réflexion sur la révolution numérique et son impact sur la pédagogie, bref contribuons tous ensemble à l’avenir de notre pays !

Pour finir, un dernier mot sur le réseau de nos classes. Des informations contradictoires circulaient ces dernières semaines sur d’éventuels frais universitaires que supporteraient les étudiants de CPGE et de STS. À y bien réfléchir, il nous apparaît que ces frais seraient les bienvenus. Mais il est clair que les lycées, qui sont des EPLE, n’ont pas la personnalité juridique pour les percevoir. La solution la plus juste serait qu’ils soient versés au réseau des classes qu’on doterait de la personnalité juridique adéquate, pour être redistribués vers les lycées concernés et les universités partenaires qui leur seraient liées par convention.

Le principal atout des CPGE, outre la qualité des enseignements qui y sont dispensés, c’est d’être intrinsèquement un atout décisif pour leurs étudiants et décisif pour l’avenir de notre pays. Outre-Atlantique, cet atout est d’autant mieux compris que l’APHEC, associée à une grande école de management et à l’Université d’État de Caroline du Nord a négocié la création sur le campus de Raleigh de classes préparatoires aux grandes écoles françaises de management, permettant grâce à des accords de double diplôme à des étudiants américains et aux enfants d’expatriés français d’obtenir Master en Management français et MBA américain. Ce projet, quasi autofinancé, a reçu l’appui du MESR, du MAE via l’ambassade de France aux USA, et même celui du Président Barak Obama. Ce projet pilote sera présenté en décembre aux représentants des deux États par le président de l’APHEC. Il est bien entendu prévu de le développer à terme dans une dizaine d’universités américaines, et de l’étendre en Chine et en Inde. La France est très en retard sur la plupart des grandes puissances, pour l’accueil des étudiants étrangers, quand chacun sait que c’est un enjeu considérable. Nous pensons que notre initiative sera reprise par d’autres, autres filières de CPGE, universités et grandes écoles. Cela montre, en tout état de cause, que notre contribution n’aura pas été vaine.

Pour le Bureau de l’APHEC

Philippe HEUDRON, Président de l’APHEC