Lors de son assemblée générale annuelle, le 9 juin 2009, la Conférence des Grandes Ecoles a eu le plaisir d’accueillir M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances.
Au terme de son troisième mandat, M. Christian Margaria, le président de la CGE, a souhaité retracer l’engagement des grandes écoles françaises sur ces questions au cours des six dernières années. Ainsi, les thèmes de la diversité et de l’égalité des chances étaient déjà inscrits dans le Livre blanc de la CGE, publié en 2004 .

Une réflexion approfondie sur ce sujet a été menée, depuis 2005, au sein de la commission diversité de la CGE. Présidée par M. Pierre TAPIE, le directeur général du Groupe ESSEC, cette commission s’est saisie de trois sujets d’actualité essentiels : l’ouverture sociale et la promotion de l’égalité des chances au sein des filières d’excellence, la parité entre les hommes et les femmes et la prise en compte des handicaps. Ses travaux ont permis de modifier les représentations traditionnelles : on est passé d’une appréhension de cette question sous l’angle d’une action civique à une véritable vision stratégique de l’ouverture sociale. Celle-ci prend acte à la fois des défis nouveaux de notre économie (fournir des compétences suffisamment nombreuses pour répondre à ses besoins) et du fait que les idées nouvelles et l’innovation sont le fruit de situations de rupture et naissent de la diversité des points de vue sur le monde.

La CGE a également su mettre en œuvre ces principes. A titre d’exemple, l’opération « Une Grande Ecole : Pourquoi pas moi ? » a permis de sensibiliser plus de 6 000 lycéens de zones dites sensibles aux filières d’excellence et d’élargir l’horizon des possibles. Les résultats sont prometteurs, même s’ils demeurent encore insuffisants. Aujourd’hui, la CGE réfléchit à de nouvelles solutions, comme, par exemple, le développement de l’apprentissage, qui permet un financement des études supérieures des catégories sociales défavorisées. M. Christian Margaria a assuré M. Sabeg du soutien constant de la CGE sur ce dossier, au nom de la méritocratie républicaine.

M. Sabeg a tout d’abord rappelé l’importance de la promotion de la diversité sociale et de l’égalité des chances aux yeux du Président de la République. M. Nicolas Sarkozy avait auparavant souligné tout l’enjeu de cette question pour le renforcement de la cohésion nationale [[Voir le discours de Mr Sarkozy à l’Ecole polytechnique, le 17 décembre 2008]] . M. Sabeg a expliqué étudier l’ensemble des pistes de progrès possibles, en coopération avec la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme Valérie Pécresse, pour la mise en œuvre du programme d’action pour la diversité et l’égalité des chances[[Rapport de M. Yazid Sabeg, Programme d’action et recommandations pour la diversité et l’égalité des chances, remis au Président de la République le 7 mai 2009.]].

Il a donc proposé cinq pistes de réflexion :

1) Les concours d’entrée dans les grandes écoles :

Ils sont souvent jugés discriminants à l’égard des élèves issus des catégories socioprofessionnelles modestes (notamment les lettres et les langues vivantes). Il a également souhaité que les grandes écoles soient plus attentives au relèvement de leurs exigences en matière de sciences appliquées, d’enseignement des technologies, de conception assistée et de travail collaboratif, estimant que les ingénieurs français n’étaient pas suffisamment formés dans ces disciplines par rapport à ceux des autres pays de l’OCDE.

M. Sabeg a rappelé que le ministère chargé de la fonction publique a récemment modifié ses concours d’entrée dans le sens d’une plus grande équité [[Il a également cité le cas des concours des IRA (Instituts Régionaux d’Administration) et de l’ENA, modifiés en 2005 afin de diversifier les profils des candidats et d’ouvrir le recrutement aux non-juristes.]] . Il a demandé aux grandes écoles de travailler à l’élaboration d’un état des lieux approfondi sur la question (de manière autonome ou dans le cadre d’une mission confiée à l’IGAENR). Plusieurs options pourraient alors être envisagées : la modulation des coefficients affectés aux différentes matières, la mise en place de cours de remise à niveau pour les élèves dans les matières faibles, la création de voies d’accès particulières avec une préparation spécifique sur le modèle des conventions signées par Sciences-Po Paris, par exemple. M. Sabeg a également mentionné les nombreuses expériences en cours dans les Ecoles de management et les résultats intéressants qui se profilaient. Afin d’éviter toute confusion, il a précisé que son propos n’était pas de réduire l’excellence des filières mais plutôt de « rester hypersélectif tout en s’ouvrant à la diversité ».

2) La diversification des recrutements par le biais de la filière universitaire :

M. Sabeg s’est dit conscient que cette diversification se heurte depuis de nombreuses années à un double obstacle : la raréfaction des étudiants dans les disciplines scientifiques à l’université, ainsi que la crainte des facultés de sciences de voir leurs meilleurs élèves partir en école d’ingénieur. Néanmoins, selon lui, de nouvelles formes d’association entre les universités et les grandes écoles sont souhaitables pour développer des doubles parcours conduisant à l’obtention d’un double diplôme universitaire (doctorat) et ingénieur. Cela permettrait de réduire les écarts salariaux entre ingénieurs et docteurs (aujourd’hui supérieurs à 20 %). Il a exprimé son grand intérêt pour de récentes expériences : le double diplôme entre l’Ecole polytechnique et l’université d’Orsay, celui entre Sciences-Po Paris et l’université de Paris VI.

3) Le développement des voies d’accès à partir de filières technologiques :

Les statistiques montrent que les élèves issus des filières technologiques sont de condition beaucoup plus modeste que ceux issus de filière générale (on y recense 40 % d’élèves boursiers). M. Sabeg a affirmé la nécessité de revaloriser ces filières. Les classes préparatoires technologiques pourraient être développées pour constituer une filière d’accès comme les autres. La filière STI ne compte que 750 élèves candidats par an, ce qui reste marginal par rapport aux autres voies, et ce malgré l’existence de places offertes aux différents concours. Pour en faire une voie d’accès à part entière, il propose de quadrupler les effectifs, afin de l’inscrire dans le paysage des débouchés.
Il a demandé que l’augmentation du nombre d’élèves ingénieurs (de 30 %) s’accompagne d’un tutorat dans les écoles ou d’une modification des contenus pédagogiques. Attentif à la réforme du lycée en cours, notamment sur l’orientation des élèves, il a incité les grandes écoles à être davantage présentes dans leur vivier dès la classe de seconde. Il a affirmé que certaines Ecoles de management avaient déjà pris des mesures allant dans ce sens.

4) Le développement des conventions pour l’accès aux grandes écoles :

M. Sabeg a cité en exemple les « conventions ZEP » signées par Sciences-Po Paris. Il a mentionné leur popularité et leur réussite. Il a regretté que les IEP de Province n’aient pas suivi cette voie. Espérant que les grandes écoles se montrent intéressées par le développement de cette filière d’accès, notamment celle recrutant directement après le baccalauréat, il a évoqué l’idée d’un soutien de l’Etat dans ce cas. Ce financement public doit maintenant être évalué.

5) Les cordées de la réussite :

Il a estimé que l’opération des « cordées de la réussite » s’est développée à un rythme très satisfaisant. Il y aura bientôt près de 300 établissements engagés dans ce processus. Cette opération constitue selon lui un très bon exemple de coopération transversale entre les grandes écoles, les classes préparatoires, les universités et les entreprises. Il a suggéré que les grandes écoles fassent un premier bilan pour recenser, en relation avec le ministère de l’Education nationale et le Commissariat à la diversité et à l’égalité des chances, les lieux ne bénéficiant pas de ce dispositif. Il a demandé que les journées de présentation des grandes écoles ne soient plus réservées aux seuls lycées de centre-ville.

En conclusion, M. Sabeg a proposé que la CGE donne un mandat à son bureau pour adopter, sous huitaine, une position de principe sur ces propositions pour établir les objectifs à atteindre et un calendrier des actions à mener.

M. Margaria a remercié M. Sabeg pour ces propositions. Il a reconnu la nécessité d’amplifier les initiatives au sein des cordées de la réussite. Il a affirmé que la CGE partageait l’objectif d’accroître l’attractivité des filières technologiques d’accès aux grandes écoles et d’augmenter le nombre de places offertes. Cependant, il a souligné que la bonne volonté des grandes écoles risquait de ne pas suffire : la mise en œuvre d’un programme d’ouverture sociale requiert de nombreuses opérations de communication et de formation qui ne peuvent intervenir qu’en amont du dispositif CPGE/GE, c’est-à-dire au moment où les décisions d’orientation se prennent, au collège et au lycée.
Sur la nécessité d’augmenter le nombre de diplômés des écoles d’ingénieurs de 30 %. M. Margaria a insisté pour que ces chiffres soient affinés par type de technologies. Ainsi, par exemple, les secteurs de la chimie et des technologies de l’information n’ont pas les mêmes besoins. De même, avec la raréfaction des vocations scientifiques, il reste environ 2 000 places non pourvues aux concours des grandes écoles chaque année. Par conséquent, l’augmentation du nombre de places au concours ne peut constituer l’ultima ratio de la politique d’ouverture sociale. D’importantes opérations de sensibilisation, de communication et d’information seront indispensables.
C’est donc tout le dispositif de formation, depuis l’école primaire jusqu’au supérieur, qui doit se mobiliser pour faire des sciences et des techniques des secteurs attractifs pour les jeunes Français. La société (notamment les medias) doit donner envie de sciences, de recherche et d’innovation, à travers des images positives et stimulantes des secteurs scientifiques. Sans cette appétence renouvelée, les objectifs fixés risquent de rester à l’état d’espoir. Pour les catégories aujourd’hui trop peu représentées dans les filières d’excellence, il faut démontrer toute l’étendue des possibles.